Fumée sacrée

A - Encens, tabac
et chanvre

L’encens, autrefois plus précieux que l’or et transporté à dos de chameau par les caravanes, était, à l’origine, la résine obtenue par incision de l’écorce d’un arbre d’Arabie, le Biswelia sacra.

Toutes les religions ont utilisé — et utilisent — l’encens [à gauche, grains d’encens sur le charbon de bois qui permet de le brûler]. La fumée parfumée qui s’en dégage achemine les prières vers le ciel, symbolisant le lien entre l’humain et le divin. Les divinités assyriennes, égyptiennes, grecques ou romaines en étaient friandes ; les bouddhistes et les grandes religions monothéistes l’utilisent également. L’encens est, avec l’or, l’une des trois offrandes choisies par les Rois Mages pour l’enfant Jésus.

La fumée de l’encens est sacrée. C’est une bénédiction qui purifie et protège. Les pèlerins qui, de l’Europe entière, arrivaient à la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle, y baignaient autrefois dans la fumée dispensée par un encensoir de quatre-vingt kilos, haut d’un mètre soixante, suspendu à la voûte par une corde et fendant l’air d’un bout à l’autre de la nef [au fond, photo de l’encensoir géant de Saint-Jacques de Compostelle ; à gauche, ancien encensoir d’église].

La fumée de l’encens, à la fois offrande, prière et purification, trouve son équivalent sur le continent américain avec la sauge blanche, Salvia apiana, herbe sacrée native de régions désertiques [au centre, dans un ormeau, sauge blanche provenant d’Amérique du Nord]. La sauge est brûlée (souvent dans un coquillage, l’ormeau) et sa fumée est dirigée vers le corps à l’aide d’une longue plume (souvent celle d’un aigle) ; elle est répandue, pour les purifier, dans les lieux où se déroulent des rituels de guérison ou à caractère spirituel. La sauge blanche joue également le rôle d’agent de purification, et de médiateur entre le visible et l’invisible, dans le rituel des huttes de sudation. En Amérique du Sud, c’est la fumée odorante du Palo Santo, Bulnesia sarmientoi, qui est utilisée comme encens.

Le tabac, Nicotiana tabaccum ou Nicotiana rustica, grande plante sacrée amérindienne, joue le même rôle de protection et de purification. Il active, de plus, le pouvoir des autres plantes ; c’est pourquoi il est présent dans différentes cérémonies, comme les rituels de guérison à l’ayahuasca en Amazonie, pendant lesquels le guérisseur, ou chaman, souffle de la fumée de tabac sur les participants [à droite, tabac brun cérémoniel et pipe chamanique représentant une tête de jaguar].

La fumée du chanvre, Cannabis sativa, a elle aussi été utilisée rituellement dans des huttes de sudation. Cinq siècles avant J.-C., Hérodote décrit les rites funéraires des Scythes, guerriers nomades venus d’Asie, qui érigent une sorte de tente au centre de laquelle sont placées des pierres rougies au feu. Des têtes de chanvre sont jetées sur les braises ; il en monte une fumée épaisse, absorbée par les participants dans un rituel de purification que l’historien des religions Mircea Eliade décrit comme une « expérience extatique » à caractère chamanique.

Aujourd’hui, le mot « encens » est devenu un terme générique désignant diverses plantes ou préparations destinées à un usage aussi bien profane que sacré. Cependant, la fumée, lien entre l’humain et le divin, garde tout son mystère •

© Le musée du Fumeur